La folie virale des NFT

La folie virale des NFT

”Épiphanie technologique”, “nouvelle Renaissance”, “révolution sur le Marché de l’Art”, “bulle numérique” ou “nouvelle niche spéculative”… la plongée de l’art dans le monde virtuel des NFT et des cryptomonnaies fait couler beaucoup d’encre. Et pour cause: la vente de la première œuvre digitale chez Christie’s a eu l’effet d’un véritable séisme en propulsant BEEPLE (alias Mike Winkelmann), inconnu aux profanes de l’art numérique, sur la troisième marche du podium des artistes vivants, après Jeff Koons et David Hockney. Après la vente record d’Everydays: The first 5000 Days, un fichier numérique au format JPEG de cet artiste emporté au prix exorbitant de 69,3m$ le 11 mars, l’art digital doit être considéré comme un courant créateur de grandes valeurs.

Vignesh Sundaresan, millionnaire indien de 32 ans, enrichi grâce à l’explosion du cours des cryptomonnaies, est l’acheteur du premier NFT de l’histoire des enchères publiques: une ligne de code renvoyant à une œuvre virtuelle de Beeple dont l’authenticité et la traçabilité sont garanties par la technologie blockchain. Monsieur Sundaresan, créateur de l’un des principaux fonds d’investissement en NFT (Metapurse), a pour objectif de constituer la plus vaste collection d’art NFT au monde. Trois mois avant d’emporter The First 5000 Days, sa société Metapurse aurait déjà déboursé plus de 2m$ en œuvres digitales de Beeple, puis en aurait divisé la propriété en jetons numériques (NFT) pour les vendre au moment le plus stratégique des enchères en ligne de Christie’s, lorsque le jeu de l’offre et de la demande était à son climax.

La nouvelle manne NFT soulève un immense engouement. Selon Christie’s, 22 millions d’individus, dont près de 60% âgés de moins de 40 ans, se sont connectés à la vente de The First 5000 Days. Parmi eux, quelques investisseurs aux portefeuilles crypto bien fournis ont fait flamber les enchères… Empressées de profiter des nouvelles communautés d’acheteurs axés sur l’art digital, ainsi que des liquidités de l’espace cryptographiques (NonFungible estime que les NFT ont généré près de 2,5 Mrd$ sur les cinq premiers mois de 2021), les maisons de ventes ont tout fait pour intégrer des œuvres NFT à leurs ventes de prestige du printemps.

Quésaco ?

NFT
Un NFT (non fungible token) est un objet de collection numérique stocké sur une blockchain. Unique et non modifiable, il tient lieu de certificat d’authenticité (réputé inviolable) et constitue une preuve numérique de provenance et de propriété. Concrètement, lorsqu’un collectionneur achète une œuvre NFT, il achète le jeton représentant l’œuvre (une image, un gif, un fichier vidéo…), soit un titre de propriété. Le propriétaire du NFT est seul propriétaire du contenu, même si l’image gif ou jpeg est partagée des millions de fois en ligne. Pour les collectionneurs, c’est un moyen d’acquérir des œuvres dont la rareté est avérée. Pour les artistes digitaux ou les auteurs d’art éphémères (artistes urbains ou performeurs), c’est un moyen de construire de la valeur sur leur travail.
Blockchain
Créée en 2008 par Satoshi Nakamoto, la blockchain désigne une technologie de stockage et de transmission d’informations transparente et sécurisée. Les informations contenues dans cette “chaîne de blocs” – transactions, titres de propriété, signature, contrats – sont protégées par des procédés cryptographiques qui rendent le jeton infalsifiable.
La blockchain sert la circulation des cryptomonnaies depuis des années. Elle simplifie l’achat et la vente, permet des transactions rapides, directes et peu coûteuses, tout en fournissant une chaîne de provenance et d’authenticité qui rassure.

L’innovation, premier critère de valeur

Pour créer un maximum de valeur sur les objets numériques, les sociétés de ventes aux enchères cherchent à présenter des œuvres technophiles jamais vues sur le marché. Être au cœur de l’innovation fut ainsi l’une des valeurs cardinales des maisons de ventes lancées dans la course au NFT après les 69,3m$ obtenus pour Beeple chez Christie’s mi-mars. En avril, Phillips annonce le premier NFT multigénérationnel capable de générer automatiquement de nouvelles œuvres. En mai, Christie’s surenchérit avec les premiers Warhol tokenisés. En juin, Sotheby’s présente le “premier” NFT intelligent capable d’interagir avec son propriétaire grâce à l’intelligence artificielle… L’innovation a constitué un argument phare pour des envolées de prix spectaculaires.

L’innovation, premier critère de valeur

Artistes confirmés en transition digitale

Des œuvres contemporaines sont déjà transformées en NFT pour nourrir le marché des enchères. Des images créées par Andy Warhol (décédé il y a plus de 30 ans) pour promouvoir la sortie de l’ordinateur Amiga 1000 en 1985 ont notamment été récupérées par cette technologie. Vendues en ligne sur le site de Christie’s (“Andy Warhol: Machine Made”, 19-27 mai) sous la forme de cinq NFT en formats TIF de 4500 x 6000 pixels, elles ont pulvérisé leurs estimations, générant 3,4m$ au total.

La transformation des œuvres originales de Warhol en NFT a été autorisée par la Fondation Andy Warhol, sollicitée par Christie’s: une procédure légale pas toujours respectée.

Exemple avec BANKSY, entré malgré lui dans le merveilleux monde des NFT en mars, lorsque le collectif Burnt Banksy brûle l’estampe Morons (325/500) en direct pour la faire vivre uniquement en tant que NFT. L’œuvre était particulièrement bien choisie, puisqu’elle met en scène un commissaire-priseur faisant monter les enchères sur un tableau portant l’inscription “Je n’arrive pas à croire que vous, bande de crétins, vous achetiez cette merde”.

À l’issue de la cérémonie de crémation, le jeton numérique de Morons a perdu tout concurrent physique ce qui confère plus de valeur à l’œuvre numérique. Poussé par la mise en scène disruptive, la forte spéculation du moment sur les NFT, et la popularité de Banksy, le pendant digital de Morons s’est ensuite arraché pour 228,69 Ether sur Open Sea (environ 380.000$), soit quatre fois le prix d’achat de l’estampe physique.

Plusieurs grands artistes contemporains souhaitent intégrer l’écosystème NFT et en adopter les codes. Certains, comme Shepard Fairey, Kaws, Murakami ou Jenny Holzer, ont sauté le pas ou s’y préparent. Damien HIRST a quant à lui lancé des NFT (The Currency) obligeant les acheteurs à se questionner sur la valeur de l’art. Il leur demande de faire un choix entre conserver une œuvre physique ou son pendant virtuel.

Toute œuvre peut être transformée en NFT, y compris La Joconde, ce qui multiplie les opportunités de vendre de l’art. Les musées s’y sont mis, à commencer par la Galerie des Offices de Florence qui vendait, en mai, une version NFT du Tondo Doni (c. 1505) de Michel-Ange pour près de 170.000$, détrônant la rentabilité de tout autre objet dérivé. Il est prévu que d’autres chefs-d’œuvre (de Titien, Caravage, Botticelli…) soient déclinés en NFT à l’avenir pour contribuer aux finances du musée italien. Néanmoins, le prix du du Tondo Doni interroge. Pourquoi un tel fossé entre les 170.000$ du premier NFT d’un artiste aussi majeur que Michel-Ange et les 69,3m$ obtenus par le NFT de Beeple? La préférence des acheteurs semble aller aujourd’hui vers des objets digitaux en osmose avec l’esthétique et les enjeux contemporains. Les NFT les plus cotés répondent généralement à cet impératif d’une technologie au service de l’œuvre et non au service d’un musée ou d’un artiste célèbre appartenant au passé. Ceci explique peut-être pourquoi des cryptopunks valent 16,9m$ lorsqu’un NFT de Campbell’s Soup Can plafonne à 1,17m$: Andy WARHOL nous ramène au siècle passé tandis que LARVA LABS représente les nouveaux modes d’échanges et de collections à l’ère du 2.0.

Distribution du produit des ventes d’Art Contemporain par catégorie (2020/21)

Distribution du produit des ventes d'Art Contemporain par catégorie (2020/21)

→ En quatre mois, les NFT ont généré 127,6m$ de produit des ventes, soit un résultat deux fois plus élevé que celui de la photographie contemporaine, le tout pour 100 lots NFT, contre 6.500 photographies.

Donnée toute aussi parlante: le taux d’invendus des NFT est le plus bas du marché, 6% seulement contre 30% en moyenne pour les autres catégories de création (peinture, sculpture, dessin, photo, estampe…). L’engouement est à la mesure de la notoriété galopante et du battage médiatique existant autour des NFT.

CALENDRIER NFT

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